Gabriel Marcel, né à Paris le 7 décembre 1889, était le fils du conseiller d’Etat et ambassadeur, Henry Marcel (1854-1926). L’enfant avait quatre ans lorsqu' il perdit sa mère, née Laure Meyer. Il fut élevé par la sœur de celle-ci, avec qui son père s’était remarié. Il fit des études sévèrement menées (toujours premier en tout ) dont il conserva un mauvais souvenir. A 21 ans, il fut agrégé de philosophie. Pourtant sa vocation n’était pas d’être philosophe: " Le premier appel, entendu de bonne heure, c’est celui de la musique. C’est là que je me sens plus authentiquement créateur ! ". Effectivement, il écrivit des partitions sur des poèmes de Paul Valéry, d’André Chénier, de Gérard d’Houville, de Jean Cocteau. De bonne heure, il entendit aussi un autre appel, celui du théâtre. Fils unique, il avait pris le goût de peupler sa solitude d’êtres imaginaires avec qui lesquels tenait des dialogues sans fin. A quinze ans, il écrivit sa première pièce. La plus forte, la plus saisissante a pour titre : " Un homme de Dieu ", il fut l’auteur de vingt pièces dont treize furent représentées. Marcel Achard disait de lui : " C’est à la fois Brieux et Claudel. Quand il aura 80 ans, on le découvrira et on le jouera partout ! ". La prophétie ne s’est malheureusement pas réalisée. Cependant, nanti de diplômes, il devint, avant la guerre de 14-18, professeur de philosophie à Sens, puis à Paris, au Lycée Condorcet, qui eut pour maîtres, pour répétiteur et pour élèves tant de gens illustres. Son œuvre philosophique n’a jamais été un système. Elle est le résultat d’une expérience intérieure. Entre un père agnostique, une mère juive, une tante de même origine mais convertie au protestantisme libéral, il fut élevé sans éducation religieuse. Il vint de lui-même, après vingt ans de recherches, au catholicisme et, le 23 mars 1929, demanda le baptême. Dès lors, il se trouva être le porte-parole le plus en vue de l’existentialisme chrétien. Il réfutait ce terme et aurait préféré néo-socratisme. Il n’a jamais aimé qu’on lui accroche cette étiquette et moins que tout autre, celles de " Pape de l’existentialisme chrétien ", " d’Anti-Sartre " ou même simplement de " Précurseur de l’existentialisme ". Ce qu’il fut cependant, bien avant Sartre et Simone de Beauvoir, qui bien avant Jean Prieur fréquentèrent son salon au 21 rue de Tournon. La philosophie pour lui, c’était avant tout, les rapports entre humains et cette connaissance d’autrui qui mène à Dieu. Il fut avec Bergson, Louis Laville et Jean Guitton, un des maître de la philosophie de l’Esprit. Marcel s’est intéressé de près au surnaturel et aux phénomènes extraordinaires dans le christianisme. Réfutant le terme de " néo-spiritisme ", il distinguait fortement spirituel et paranormal. Pour lui le spirituel, c’est ce qui ne peut pas être expérimenté, appréhendé, dans le cadre d’une procédure scientifique. Le spirituel ne peut être que vécu. Intéressé par les expérimentations en parapsychologie et en voyant les limites, il s’en démarquait. Sur les matérialisations d’ectoplasme, il disait : " Je suis très réservé. C’est un phénomène singulier, aussi peu spirituel que possible " (et qui se prête à toutes les impostures, ndlr). Pour lui, nature et surnature, matériel et spirituel, sont de deux ordres différents. Le corps spirituel n’est pas une vapeur impalpable mais un organisme subtil. A l’image du Christ ressuscité, il n’est pas un fantôme. Bien qu’échappant aux conditions spatio-temporelles de la condition humaine, son corps est celui d’un homme, mais d’un homme transfiguré et entré dans la gloire de Dieu. Cependant, il convenait avec Jean Prieur que toutes les résurrections ne sont pas glorieuses ; celle du Christ présente des caractères qui n’appartiennent qu’à lui. Pour Gabriel Marcel, l’une des principales difficultés à l’égard de ces phénomènes consistait dans le fait que la pensée contemporaine essaye de concevoir les réalités éternelles à l’aide de concepts et d’images empruntés au monde matériel. Il notait : " La plupart des Occidentaux, même chrétiens, n’arrivent plus à appréhender l’idée d’un aspect non objectif du corps. C’est pourtant à partir de cette idée qu’il est possible de projeter quelque lumière sur les phénomènes dits surnaturels. " Selon lui, le " contact " entre ici-bas et le monde divin est possible s’il se fait dans un esprit de prière. Aussi reconnaissait-il une grande valeur spirituelle aux messages christiques comme ceux de Pierre Monnier, après la Première Guerre, et ceux de Roland de Jouvenel après la Seconde. L’un était protestant en ce monde et l’autre catholique : tous deux affirmaient les mêmes vérités éternelles, mises en évidence par le Christ. Il a écrit dans sa préface pour le livre de Jean Prieur " Les témoins de l’Invisible " : " C’est là, d’ailleurs – vous l’avez su depuis que nous nous connaissons, et nos nombreux entretiens ont achevé de le démontrer – c’est là que l’accord entre nous est profond. " En ce domaine, il estimait toujours devoir juger l’arbre à ses fruits. Et, dans cette optique, il indiquait : " J’ai observé que le contact avec ces réalités contribuait à créer chez un être une étrange puissance de rayonnement. " Profondément croyant, Gabriel Marcel a beaucoup réfléchi sur le sens de la mort et de l’éternité selon la foi qu’il avait acquise. Pour lui, le christianisme implique trois choses : La croyance dans la résurrection immédiate dans le monde spirituel : les morts ne dorment pas jusqu’à la fin des siècles. Affirmation fondée sur cette parole : " En vérité, je te le dis : aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis " (Lc 23,24) ; ce que le Christ a promis à son compagnon d’agonie, il l’a promis à tous les hommmes. La réalité du corps spirituel qui permet de comprendre les phénomènes psychiques et mystiques dits surnaturels. Et la communion des saints, c’est-à-dire la communion des croyants qu’ils soient ou non dans l’incarnation, qu’ils soient en ce monde ou dans l’autre. " Interdépendance des destins spirituels, tel est pour moi dit-il le sublime et l’essentiel du Catholicisme. " Dramaturge célèbre, peu joué, musicien convaincu d’avoir manqué sa véritable vocation, écrivain difficile à lire, philosophe qui se défend de l’être, il mourut en 1973 après avoir conquis lentement la haute notoriété. Il reçut, entre d' autres distinctions, le Grand Prix de littérature de l’Académie française en 1949. En 1952, il devint membre de l’Académie des Sciences morales et politiques. Très apprécié à l’étranger, il a reçu en 1956 le Prix Goethe décerné par l’Université de Hambourg, le Prix de la Paix, en 1964, décerné à Frankfort par les libraires allemands, le prix Erasme, en 1969, remis à Rotterdam, par S.M. la reine Juliana des Pays-Bas. Il a fait des conférences à Beyrouth, Aberdeen, au Maroc, au Canada, au Japon, aux Etats-Unis et dans les grandes villes d’Amérique du Sud. La France ne l’a pas oubliée : Grand Prix national des lettres, en 1958 ; Grand Prix de la ville de Paris, en 1968. Gabriel Marcel était un des maîtres de notre philosophie, de nos lettres et de nos arts. Incontestablement un grand maître à penser.
Qui est Gabriel Marcel (1889-1973)?
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