de Jean Prieur (juillet 2010)
Je suis devant mon téléphone : Appel d’Henri Stofft, mon cousin qui n’a pas donné signe de vie depuis dix ans.
Je suis le cousin germain de Madeleine, sa mère. Je m’apprêtais à écrire un souvenir sur le Maréchal Pétain, ce qu’il est, me dit-il, en train de faire de son côté !
Nous sommes en pleine synchronie.
Il veut envoyer son futur manuscrit au Rocher et me demande s’il peut se recommander de moi. Je réponds affirmativement, en précisant que les recommandations ne servent à rien.
Je commence à lui raconter le récit que je destine au docteur Lefèvre de Sanary, quand Stofft m’apprend que son père, qui a frôlé le centenaire (1880-1979) a un double cancer qui n’évolue pas. Je le rassure, en lui disant qu’il en était de même pour mon père qui a aussi frôlé le centenaire, moins pour moi.
Je débute ma petite histoire, mais je sais que cela ne l’intéresse pas, il raccroche bientôt.
La scène se passe à Vichy, sur les bords de l’Allier. Il fait beau, nous sommes sans pardessus. Je suis assis à côté de Pierre Locardel qui a fauché à Radio-Vichy (où il travaille en sous-marin) des notes d’écoute de la Radio anglaise. Nous sommes donc en totale illégalité. Nous nous délectons de ce fruit défendu, quand passe devant nous le Maréchal Pétain, qui fait sa promenade quotidienne. Deux demoiselles d’un certain âge esquissent une petite révérence. Il les salue. Comme nous sommes des jeunes gens bien élevés, nous ne restons pas assis en face du chef de l’Etat, et nous nous inclinons légèrement en pensant " pourvu qu’il ne nous adresse pas la parole ; pourvu qu’il n’ait pas remarqué ce gros paquet de feuillets sur papier pelure, tamponnés Top Secret"
Pierre Locardel, devenu éditorialiste au Figaro, nous avions notre idée qui était celle de la grande majorité des Français : Le Général et le Maréchal sont d’accord pour berner les nazis : De Gaulle était l’épée, Pétain le bouclier.
Nous nous tenons debout, en silence, respectueux devant ce vieillard bien droit au teint frais. Il nous fixa de son regard bleu ciel, souleva légèrement son chapeau et s’éloigna, suivi à quelques mètres par des messieurs corrects… des sbires de la Gestapo ? Je ne crois pas, je penserais plutôt au contre-espionnage français.
Tout était pour le mieux dans le moins mauvais des mondes, puisque Pierre Laval assumait les basses besognes. Il se chargeait ou était chargé du rôle des ombres. Laval, comme Satan, était un personnage bien pratique qui innocentait, innocente toujours à la fois Dieu, l’homme et l’ange, en l’occurrence, le Maréchal et les hauts fonctionnaires de Vichy.
Je n’arrive toujours pas à croire que nous sommes Mardi. Pour m’en assurer, je repose la question à Lahcen qui vient d’entrer : Est-ce que le nom de Pierre Laval te dit quelque chose ? – Non, rien du tout, c’est le nom d’un ami ? Regarde le programme ! – Ah, par exemple !, nous sommes au XXIe siècle, j’avais oublié ce détail. Exactement, le 15 juin 1010 et j’ai 95 ans. Je lis : France 3 – 20 h 35 : Juin 40, le Grand chaos. Je fais un rapide ménage mental et me souviens d’avoir écrit sur ce sujet. Un autre souvenir refait surface : j’ai rendez-vous le vendredi 18 juin 2010 avec un lecteur : J. C d’Hozouville. Nous somme jeudi 17 juin 2010. Il est midi 30. Lahcen est descendu. S’il ne remonte pas, c’est qu’il n’y a rien au courrier. Telle est l’épreuve quotidienne.
Je prends le J. T. de 13 heures. C’est l’horreur en Méditerranée : les inondations du Var, des immeubles tout neufs qui s’effondrent. Sont concernés, le Dr Bernard Lefevre à qui j’étais en train d’écrire, et Roseline Ruthor qui possède un mobil home dans le coin.
Je coupe TF1 qui diffuse Jabbott, (Les feux de l’amour) un feuilleton qui dure depuis 25 ans.
J’ai retrouvé le texte que j’avais écrit sur la semaine infernale qui commence le vendredi mai 1940. C’est une reconstitution. A l’époque, j’étais professeur à l’Ecole de Guyenne, établie en région protestante, à Sainte Foy la Grande, en Gironde. J’étais en relation avec son directeur depuis 1938. Encore aujourd’hui, j’ai des nouvelles d’un ancien petit élève, Jean de Turckheim. Pour ma reconstitution, je me suis servi des travaux de l’historien Marc Ferro, et de son émission télé qui repassait les anciennes actualités britanniques, françaises, allemandes et américaines, inconnues à l’époque.
Voici donc la semaine infernale.
Vendredi 10 mai 1940, à 5 h 35, offensive allemande entre la Belgique, la Hollande et le Luxembourg. Les parachutistes allemands avaient déjà occupé les points stratégiques et les aérodromes.
Les unités françaises et britanniques entrent en Belgique par Givet et Namur. Liège a été pris par des parachutistes.
La reine Wilhelmine et la grande-duchesse Charlotte qui pensaient résister à l’envahisseur, sont contraintes de fuir in extremis.
Toujours le 10 mai, le roi George VI fait appel à Churchill qui déclare : " Je n’ai rien d’autre à vous proposer que de la peine, du sang, de la sueur et des larmes. " Langage impossible et impensable dans la bouche d’un dirigeant français qui connaît l’art de forer ces pilules amères.
Les diamantaires d’Amsterdam, de Rotterdam et d’Anvers réussissent à s’embarquer sur le dernier paquebot pour l’Angleterre, et à bénéficier d’une faveur extrême réservée aux personnes royales. A Londres, ils sont sûrs d’échapper aux persécutions contre les juifs.
En France, le pays VGE (Vacances, Grèves, Elections) : En ce vendredi 10 mai, certains sont très choqués qu’Hitler ait attaqué pendant le week-end. Ces gens-là ne respectent rien. Les 11 et 12, ils continuent sur leur lancée. Le lundi 13 mai, ils brandissent leur ultimatum pour l’armée hollandaise : " Rendez-vous immédiatement sans conditions, ou nous rasons Rotterdam. " Le lendemain, mardi 14, c’est sur Rotterdam le tapis de bombes, l’Océan de flammes. Le mercredi 15, les Pays-Bas capitulent. Le premier ministre belge Pierlot veut continuer la lutte aux côtés des Alliés. Les Français se croyaient à l’abri, derrière la ligne Maginot et les Belges derrière le canal Albert et les Ardennes. Mais le vendredi 17 voit à la fois une brillante mais vaine offensive du colonel Charles de Gaulle (tiens ! d’où sort-il celui-là) et la chute de Bruxelles, d’Anvers et de Saint Quentin. Le dimanche 26 mai, les alliés dont certaines unités étaient déjà encerclées depuis le 20, commencent l’évacuation de Dunkerque. Le lundi 27, pour épargner à Bruxelles le sort de Rotterdam, Léopold III ordonne à ses troupes de déposer les armes.
Le 28, Paul Reynaud dénonce à la radio " l’attitude inqualifiable de Léopold III qui dix-huit jours après voir appelé les alliés au secours les abandonne sans les prévenir. " Et Churchill constate que la reddition belge nous oblige à couvrir à l’improviste un front de 50 kilomètres jusqu’à la mer.
Le 28 mai, fin du Blitzkrieg ou guerre éclair.
Le 19 juin, le roi des Belges est radié de l’ordre de la Légion d’Honneur et Charles de Gaulle promu général de brigade à titre provisoire et sous-secrétaire d’Etat à la Défense nationale.
La France, ayant été vaincue à la bataille de la Somme, Pétain et Weggand estiment que la guerre est perdue, et prennent des contacts avec les Allemands dont la réponse est prévisible : " Soumettez-vous sans conditions ou Paris connaîtra le sort de Rotterdam. "
C’est alors que le maréchal Pétain vient de partir de la ville, et déclare Paris Ville ouverte.
JEAN PRIEUR (juillet 2010)